Au revoir les enfants (et surtout les parents)

On pensait avoir eu plus que sa dose en 2018. Mais non, en refusant de rapatrier six enfants syriens et leur mère, le gouvernement ressert une dernière louche d’ignominie, histoire de terminer l’année avec une bonne nausée. De la mort de Mawda à la réouverture des centres fermés pour familles, les enfants migrants n’auront pas été à la fête. On doit cependant reconnaître une certaine logique dans ce déferlement d’atteintes à leurs droits et notamment à celui de ne pas séparer les enfants de leurs parents. Tout le monde dehors et le droit à la vie familiale sera respecté.

 

Dans tous les médias, on retrouve ces jours-ci, un bon vieux marronnier : ce qui va changer dès le premier janvier. Ce qui risque de ne pas changer, c’est la persévérance du gouvernement Michel à jeter par-dessus bord les conventions internationales, les règles consulaires, les lois qui d’une manière ou une autre protègent les demandeurs d’asile et les migrants en général. On ne va pas revenir sur tout ce qui a été fait et défait en 2018, l’affaire des Soudanais expulsés, le projet de loi sur les visites domiciliaires, la loi qui bouleverse totalement le droit d’asile, l’abandon des migrants dans le parc Maximilien, la réouverture des centres de détention pour familles, il faut admettre que Theo Francken a été d’une grande proactivité dans ce domaine.

Le gouvernement l’a été beaucoup moins dans l’affaire des enfants de djihadistes parqués dans des camps en Syrie. Pendant des mois, les experts de Child Focus et du Centre for Children in Vulnerable Situations ont alerté les autorités sur les conditions très précaires dans lesquels vivent six enfants belges de moins de six  ans. En vain. Il a fallu la décision d’un tribunal bruxellois ordonnant au gouvernement de faire rapatrier les enfants sous peine d’astreintes pour que celui-ci se réveille….en décidant, trois jours plus tard, de faire appel. Maggie De Block, qui a repris la fonction et l’approche politique deTheo Francken, ne veut pas voir les mères de ces enfants sur le territoire belge parce que ce sont « des femmes de l’Etat islamique et qu’elles n’ont pas leur place dans notre société ». Voilà un mâle langage qui va plaire aux électeurs et  doit faire bisquer Theo Francken et la N-VA. Les enfants ? On verra, dit-elle. C’est tout vu. Dans son jugement, le tribunal relève que « refuser de rapatrier les mères avec leurs enfants est contraire aux droits de l’Enfant mais aussi aux droits de l’Homme ». Donc, en vertu du principe de non-séparation des familles, les enfants ne pourront que rester en Syrie. On aurait pu agir autrement : rapatrier ces deux jeunes femmes d’à peine 25 et 26 ans et faire appliquer la peine à laquelle elles ont été condamnées par défaut. Les enfants, eux, seraient à l’abri et garderaient leurs liens avec leurs mères comme beaucoup d’enfants de parents détenus.

Cela serait logique mais ce n’est pas la logique d’un gouvernement qui fait preuve depuis des années d’une grande cohérence dans sa politique hostile à l’immigration. Les centres de détention pour familles ont été rouverts pour que parents et enfants se retrouvent ensemble derrière les grilles puis dans un avion. Pas de séparation des familles, expliquait la bouche en cœur Charles Michel pour justifier l’injustifiable détention des enfants. Pas de séparation des enfants syriens avec leur mère non plus. Le droit à la vie familiale, le gouvernement la respecte à condition qu’elle ne s’exerce pas chez nous.

Et ce qui est cohérent par-dessus tout, c’est le langage, c’est la manière d’attiser la haine et la peur, avec ces propos à l’emporte-pièce que l’on a entendus chez plusieurs hommes politiques MR et N-VA en particulier. Les enfants syriens ne sont jamais présentés comme des enfants en danger mais comme des enfants « de terroristes », donc radicalisés même si certains ne parlent pas encore. Ce sont ces amalgames mélangeant  tout le monde, enfants, mères, juges, ONG, en en faisant des auxiliaires du « Califat » pour reprendre l’expression toute en nuances de Bart De Wever  qui amènent un déferlement de menaces et d’injures sur le site de Child Focus.

Et dire qu’officiellement la campagne électorale n’a pas encore commencé.

Ceux qui ont imaginé les champs de blé sur des barbelés

Il faut imaginer la scène. Une réunion au sein de l’Office des Etrangers pour préparer la visite de la presse dans les futurs centres fermés pour familles. Comment faire pour que, médiatiquement, « ça passe bien » ? Et si on mettait une bâche, un panneau avec des jolis dessins pour ne pas voir les barbelés ? Des dessins de champs de blé et un petit toboggan dans la cour, ce serait mignon non ?  Ce seront de bonnes images pour les JT et ça donnera l’impression que les enfants seront chouchoutés par nos agents.

On l’oublierait un peu mais derrière la décision politique d’enfermer à nouveau des enfants, il y a aussi les responsables de l’Office des Etrangers qui ont conçu, préparé ces centres fermés pour familles. Et qui les gèrent aujourd’hui. On me dira que dans une démocratie, ce sont les ministres et secrétaires d’Etat, nos « élus » qui doivent rendre des comptes. Que l’administration n’est là que pour exécuter les ordres des politiques. C’est vrai en principe. Dans les faits, avec l’Office des Etrangers, on a affaire à une administration très proactive, très « impliquée » dans une approche pour le moins restrictive de la politique d’asile et d’immigration.

On le sait, le patron de l’Office, Freddy Roosemont et Theo Francken sont des potes. Pour Francken, le directeur de l’Office, c’est « Freddy » et Freddy aime bien Theo, il a d’ailleurs volé au secours de son Secrétaire d’Etat lors de l’affaire des Soudanais, ce qui est pour le moins interpellant. En principe, le pouvoir politique et l’administration se contrôlent mutuellement mais, ici, tout se passe comme si l’administration était en quelque sorte investie d’un rôle politique, celui de diminuer au maximum le nombre de demandes d’asile, d’enfermer le maximum d’étrangers, de refuser des régularisations du droit de séjour, d’expulser par tous les moyens.  On ne compte plus les abus de procédures de l’Office des Etrangers pour empêcher la libération de demandeurs d’asile, on n’imagine pas l’acharnement mis à enfermer, des personnes âgées comme des adolescents sans tenir compte de la fragilité des personnes concernées.

On va beaucoup parler du vingtième anniversaire de l’expulsion mortelle de  Semira Adamu au cours des prochaines semaines. On oublie un peu celle de Tabitha, cette petite Congolaise de cinq ans, renvoyée toute seule au Congo par l’Office des Etrangers qui savait que personne ne serait là pour l’accueillir. La Belgique a été condamnée en 2002 par la Cour européenne des droits de l’Homme pour cette expulsion d’enfants. Comme elle l’a déjà été pour la détention de mineurs. La Belgique s’en fiche. L’Office des Etrangers gère et n’a de compte à rendre à personne. L’Office, ce sont des agents de la fonction publique. Qui ne font qu’exécuter ou qui s’investissent dans leur travail, convaincus d’accomplir ainsi un « service public ». Ce sont juste des citoyens ordinaires, qui comme beaucoup d’autres, pensent qu’un enfant de trois ans, né en Belgique, doit être détenu si ses parents sont des illégaux. Qu’un enfant d’étrangers a automatiquement moins de droits, qu’il ne doit pas être secouru s’il se trouve à bord d’une embarcation dans la Méditerranée, ni débarquer en Europe. Ce sont eux qui élisent Francken et consorts. Et ils trouvent sûrement que la bâche avec des champs de blé sur les barbelés, c’est « mignon ».

Vagues migratoires, divagations européennes

Le paquebot Europe n’a pas chaviré ce jeudi sur les récifs de la politique migratoire. Pas encore. Les chefs d’Etats qui le pilotent se sont entendu pour créer des centres fermés dans les pays européens d’arrivée  comme l’Espagne et l’Italie mais aussi sur l’idée de trouver ) des  « plateformes  de désembarquement régionales » en dehors du territoire européen. Soit des camps fermés dans les pays africains ou en Albanie, comme on stocke les déchets toxiques qu’on ne peut certes éviter mais qu’on préfère le plus loin de chez soi.

Dans les centres fermés, on fera le tri entre ceux qui auraient besoin de la protection de la Convention de Genève et les « simples » migrants économiques. Comme si les conflits armés, l’insécurité et la misère n’étaient pas inextricablement mêlés. Puis, on répartira les « élus » dans le reste de l’Europe. Sauf si certains (comme la Hongrie, la Pologne…) ne le veulent pas. On connaît la chanson et on peut déjà fredonner le couplet suivant. Mais soit, cela s’appelle un « accord », on ferme les volets et tout le monde va pouvoir partir en vacances.

Les bateaux pour touristes croiseront peut-être d’autres navires, ceux des ONG qui sauvent les migrants perdus en mer puis tentent de trouver un port pour les accueillir. Bientôt ces ports seront désignés et la Belgique ne devra plus faire cet immense effort qui l’a contrainte à accueillir 15 réfugiés sur les 233 qui ont pris place à bord du navire humanitaire Lifeline. Quinze «maximum » comme  s’est  empressé  de le tweeter notre Secrétaire d’Etat chargé de l’asile, Theo Francken. Surtout pas seize. On imagine sans peine que ce tweet doit lui avoir brûlé les doigts. Devoir annoncer publiquement un tout petit geste de solidarité, c’est dur, dur, pas vrai Theo ?

L’Occident et ses valeurs

Notre Secrétaire d’Etat préfère communiquer sur ses succès pour éviter toute entrée sur le territoire.  Avec le bateau humanitaire Aquarius et ses 611 migrants à bord, il s’était indigné du fait que parmi tous les « immigrants illégaux » (notez : ce ne sont jamais des réfugiés potentiels pour Francken, toujours des illégaux), il y avait beaucoup de ressortissants du Bengladesh « qui prennent l’avion pour Tripoli avant de partir en bateau pour l’Union européenne ». Il y avait en tout et pour tout trois Bengladeshi sur les 611 mais la communication est passée. Pas besoin de s’excuser et d’ailleurs tout s’oublie si vite de nos jours. Un exemple ?  Vous vous souvenez de la fameuse déclaration sur les valeurs « belges » et occidentales que chaque étranger doit signer pour avoir droit au séjour dans notre pays ? Le tout premier point de cette charte mentionne : « La Belgique a signé la Convention européenne des droits de l’Homme qui veille à ce que les droits de l’Homme soient contraignants ». Or voilà que notre Secrétaire d’Etat a affirmé, début juin, lors d’une rencontre européenne des ministres chargés de la politique migratoire, qu’il fallait trouver un moyen de « contourner » ladite Convention. Donc de faire en sorte qu’elle ne soit plus si contraignante que ça. En résumé, les étrangers en Belgique doivent mieux respecter les droits de l’Homme que nous parce qu’ils sont étrangers.

 

Ah les valeurs !  Ils n’ont que ce mot à la bouche, les populistes au pouvoir en Europe. Valeurs chrétiennes (Orban, Salvini), occidentales (Macron). Sans qu’on sache trop de quoi il s’agit ni de la définition qu’on leur donne. Tenez, la liberté d’association, par exemple. Pour notre Theo, c’est une valeur et le candidat au séjour en Belgique doit s’engager à y souscrire mais en Hongrie, on est passible de prison si on adhère à une ONG qui oserait défendre les migrants.

Ou la solidarité. En Italie, c’est un mot connoté positivement quand il s’agit de l’aider à prendre en charge les migrants et réfugiés qui débarquent sur ses côtes, ce n’est pas bien si des citoyens hébergent ou viennent en aide aux migrants.  En fait, la seule certitude que l’on peut avoir en écoutant ces nationalistes, c’est que l’Islam serait hostile à ces « valeurs ». Et comme les réfugiés sont a priori définis comme des musulmans, le tour est joué.  Lancer des tweets provocateurs et hostiles aux migrants comme le fait régulièrement Theo Francken s’inscrit dans cette logique.  Le rejet affirmé, claironné de la manière la plus méprisante, du migrant extra-européen devient une sorte de « norme » aux quatre coins de l’Europe.

Chez nous, beaucoup estiment que notre Secrétaire d’Etat divague et qu’il ne faut plus y attacher trop d’importance sous peine de lui faire de la « pub ». Mais c’est toute l’Europe qui divague. A l’extrême-droite toute au risque de fracasser le système démocratique. Et comme avec Theo, on ne voit pas trop comment redresser le gouvernail.  Les experts ont beau dire que la pression migratoire sur le continent européen est à un seuil historiquement bas, qu’en Belgique, le nombre de demandes d’asile a baissé de 61% entre 2015 et 2017, ils parlent dans le vide. On n’est plus dans le domaine du rationnel mais de l’émotionnel.  Il est donc impossible pour les dirigeants européens d’essayer de voir plus loin, de réfléchir à long terme sur les migrations qui continueront malgré les centres fermés, d’oser des pistes alternatives comme le Canada qui veut doper les migrations légales. Le discours ou plutôt les imprécations comptent plus que les chiffres et les études.

La crise migratoire est, provisoirement sans doute, finie. Les crises politiques ont encore de beaux jours devant elles.

 

Mawda ou l’art de l’enfumage

C’est fou comme les séries policières peuvent nous influencer. Elles nous feraient croire, par exemple, que lorsqu’un enfant reçoit une balle dans le visage, cela se voit tout de suite. Et que si, en plus, il est mort, le médecin légiste n’a pas besoin d’une autopsie pour faire le lien entre les deux. On a tout faux. Apparemment, c’est très compliqué d’essayer de comprendre pourquoi, comment la petite Mawda est morte dans la nuit de mercredi à jeudi lors d’une course poursuite entre une camionnette remplie de migrants et 15 voitures de police lancées à ses trousses. Tellement compliqué que d’heure en heure, les versions changent du tout au tout. C’est normal, dit le Procureur du Roi de Tournai, « il  faisait noir » au moment des faits.  Noir comme lorsqu’on enfume l’opinion publique car, avec la mort de Mawda, c’est bien à une remarquable opération d’enfumage médiatique que l’on assiste.

Rappelez-vous les journaux télévisés du jeudi soir. L’information, c’est qu’une une fillette de deux ans est morte, certes, mais surtout que « les policiers sont hors de cause ». Il y a eu un tir de policiers vers la camionnette où se trouvait la petite fille, bien sûr mais on ne savait pas comment elle était morte.  Une balle dans la joue, reconnaîtra le Procureur du Roi de Tournai le lendemain. La joue, c’est la tête. Dire qu’un enfant a été abattu d’une balle dans la tête, c’est un peu « trash » sans doute. Et d’où vient cette balle ? Toujours selon le Parquet, pas nécessairement des policiers qui ont tiré sur la voiture et ses occupants. C’est une « balle perdue », les balles ça va, ça vient. Tiens et si on laissait sous-entendre que les migrants auraient tué la fillette en ripostant, sur eux-mêmes en quelque sorte ? On ose ? Oui. Le Parquet dit ne pas « exclure » que le tir mortel ait été commis par des policiers. Ne pas exclure, c’est laisser sous-entendre que d’autres auraient pu tirer.

On continue ? Jeudi soir, la camionnette avait forcé un barrage policier. C’était de la légitime défense, quoi.  Finalement, ce n’est pas tout à fait la bonne version des faits.  La voiture avait été bloquée sur un parking par un camion et puis des « tirs policiers » sont intervenus. Pourquoi ? Pas de réponse pour le moment. Ce n’est pas fini : jeudi encore, les policiers auraient aperçu des enfants par les fenêtres du véhicule. De quoi se montrer plus prudent donc ? Vous n’y pensez pas ! Les méchants passeurs font ça pour empêcher les gentils policiers d’intervenir. Le JT de RTL a même osé affirmer que les migrants s’étaient servi des enfants comme de boucliers humains. Les migrants sont des terroristes qui sacrifient leurs enfants, c’est bien connu. Vingt-quatre heures plus tard, il apparaît que les vitres étaient teintées de noir rendant impossible l’identification des occupants. Et pour rappel, c’était la nuit comme le note notre Sherlock tournaisien. Donc personne n’a vu personne. On tire et puis on voit. On voit un enfant de deux ans qui a reçu une balle dans le visage mais on ne comprend pas comment il a bien pu mourir.

Enfumage judiciaire, médiatique. Enfumage politique ensuite. Pour le ministre de l’Intérieur, Jan Jambon, pas besoin d’enquête. Les coupables, c’est les passeurs. Pour lui, la police n’a commis aucune erreur. Il est fort, Jambon. Les policiers tirent sur les occupants d’une voiture sans qu’il soit avéré qu’il y ait eu légitime défense mais le ministre les disculpe d’office. Alors aujourd’hui certains font la comparaison avec l’affaire Semira Adamu, il y a 20 ans. A l’époque, le ministre de l’Intérieur Louis Tobback avait aussi soutenu ses policiers avant d’être contraint de démissionner. Jambon doit-il faire de même ? Pour le moment, c’est encore de l’enfumage de rapprocher les deux événements car l’enquête n’est pas terminée. Peut-être, les policiers ignoraient-ils qu’ils poursuivaient des migrants ? Peut-être ont-ils été juste emportés par l’excitation de la chasse, toutes sirènes hurlantes ? Le problème, c’est que l’on puisse soupçonner, que s’ils savaient la voiture occupée par 30 migrants, ils auraient agi de la même manière. Avec cette légitimité que donnent les propos habituellement hostiles aux migrants de leur ministre de tutelle. Le problème, c’est que si l’enquête devait déterminer la responsabilité de policiers dans le meurtre d’un enfant, on est quasi certain que cette responsabilité sera d’emblée rejetée par le ministre sur les migrants et les passeurs. Le problème, c’est que l’on sait que dans ce gouvernement, on ne démissionne pas même quand on livre des réfugiés soudanais à ceux qui les torturent. Porter atteinte aux droits fondamentaux des migrants n’est pas considéré comme une faute politique. Au contraire, ce serait même un trophée électoral. Et sur ce point au moins, les choses sont malheureusement très claires.

 

Martine Vandemeulebroucke

C’est du vent

Il est des journées pleines de coïncidences. Où des évènements à priori indépendants finissent par sembler se répondre les uns aux autres. Prenez ce dimanche 29 mars où l’on se réveille avec déjà l’impression d’être floué. Ce n’est pas l’heure de l’été. On s’attend à une longue saga médiatique sur un contrôle budgétaire qui, selon les prévisions, devrait entrainer de sérieuses bourrasques au sein du gouvernement Michel. Un crash pour en remplacer un autre sur les écrans télé ?

La tempête, ce sont les sympathisants de « Tout Autre chose » et de « Hart boven Hard » qui l’ont affrontée dans les rues de Bruxelles. Quand vingt mille personnes se mouillaient contre l’austérité et pour une autre politique sociale et économique, la coalition suédoise prenait, vite fait, mal fait, quelques mesures d’ajustement qui ne feront pas de vagues. Un budget indolore, assure Charles Michel. « Sans impact social négatif », précise le président du MR Olivier Chastel. Et dans la plupart des médias, une seule conclusion apparaissait sur les sites lundi : le budget est bouclé, il n’y aura pas de taxe nouvelle. C’est tout ? C’est l’essentiel en tout cas. D’ailleurs, il ne s’agissait que d’un « ajustement », un arrangement, un habillage quoi !

Certains journalistes, certains experts sont-ils à ce point contaminés par l’idéologie libérale qu’ils considèrent que l’absence de taxes ou d’impôts est à priori la seule bonne mesure qu’un gouvernement puisse prendre pour son pays et que cela rend de facto la politique budgétaire « indolore » ? Ne parlons même pas ici du traquenard tendu aux Régions qui devront, elles, prendre des mesures d’économies qui toucheront directement la population. C’est un joli coup, mais ce sont les mesures précédentes prises par le gouvernement qui auront leur impact (social négatif) sur le budget. L’ajustement ne fait que rhabiller les baisses de dépenses en soins de santé, en sécurité sociale grâce aux mesures prises à l’encontre des chômeurs et des malades chroniques. Grâce au dégraissement des administrations publiques, de la SNCB, de l’armée, de la Justice. Et affirmer qu’on va « renforcer » la Justice en payant ses dettes les plus urgentes, c’est… du vent.

Le plus sidérant finalement, c’est la rapidité avec laquelle on nous habitue à tolérer l’appauvrissement de l’État et du service public en général. Une Justice qui ne juge plus faute de magistrats et qui est de plus en plus inaccessible au commun des mortels, des gares qui tombent en ruine, des trains supprimés surtout s’ils roulent en Wallonie, une administration fiscale rendue incapable de détecter et de poursuivre les gros fraudeurs, les hôpitaux en faillite, la Poste qui distribue moins de courrier en plus de temps, la privatisation de certaines missions de l’armée comme le service de sauvetage en mer du Nord… On pourrait faire le même exercice pour tout ce qui relève de la compétence des Régions. L’enseignement, les routes. On s’habitue. On se dit que par rapport aux Grecs, c’est tout de même mieux ou « moins pire ». Que, oui, d’accord, pour combler le déficit de l’État, il faudrait imaginer une autre politique fiscale, mais le tax shift, c’est politiquement compliqué. On verra plus tard et de toute façon les vents ne sont pas favorables pour monter dans ce genre d’embarcation.

Dimanche, « Tout Autre Chose » manifestait. Lundi, c’étaient les syndicats. Les tracts se sont envolés. Les photos ont cessé de circuler sur Facebook. Dimanche, c’était aussi les élections départementales en France. Là on a vu à l’œuvre une autre manière de protester, une autre expression du désarroi des électeurs qui s’estiment trahis. On a senti un vent mauvais que l’on n’espère bien ne pas voir souffler vers le Nord.

Méga projet commercial, grand complot, petitesses en tout genre

Faites le test : Parlez du scandale provoqué par l’affaire HSBC autour de vous (pas dans votre cercle étroit d’amis, mais en famille, dans les vestiaires du club sportif, chez les gens « normaux » quoi !) et vous verrez que le scandale n’est pas nécessairement là où vous le situez. Des grosses fortunes, des entreprises, des « élites » qui fraudent massivement, c’est presque dans l’ordre des choses. On est tellement taxé, ma bonne dame. Le vrai coupable, selon radio—trottoir ou les forums en ligne, c’est presque toujours les hommes politiques accusés de « gagner des millions » et de s’enrichir « scandaleusement » sur votre dos. Tout en étant bien sûr complices des fraudes fiscales en question.

Le rejet de la politique est un comportement « mode ». On peut les accuser de tout et de n’importe quoi, rares sont ceux qui prendront la défense des « politiciens », un mot qui est devenu une insulte. Tous pourris, tous corrompus, tous incompétents, tous rivés sur leurs dogmes idéologiques.

Alors si vous faites partie de ceux qui tentent de ramer à contre-courant et de défendre la classe politique, un conseil : évitez à tout prix de devoir évoquer UPlace, le méga projet commercial de Machelen qui devrait ouvrir ses portes dans trois ans. Il empeste le scandale politico-financier à plein nez. Les tenants de la théorie du complot auront de quoi remplir quelques écrans sur Facebook.

Je ne vais pas refaire ici l’historique de ce projet porté par une des plus grosses fortunes de Flandre, l’homme d’affaires Bart Verhaeghe, patron du FC de Bruges et jugé très « influent » au sein des trois partis qui composent la majorité au gouvernement flamand, le CD&V, l’Open VLD et surtout la N-VA. On rappellera juste que le Conseil d’Etat a annulé le permis d’urbanisme fin 2014 en raison des importants problèmes de mobilité que UPlace va entraîner dans la périphérie nord de Bruxelles. Mais la semaine dernière le gouvernement flamand l’a tout de même imposé.

On peut prendre ce dossier par n’importe quel bout, tenter de trouver une rationalité au comportement du gouvernement flamand, c’est impossible. Tous les experts, même ceux désignés par l’équipe de Geert Bourgeois, prédisent une augmentation insupportable du trafic sur le ring parce que 85% des futurs clients de UPlace s’y rendront en voiture, rien n’y fait. Pas plus que l’étude d’impact mettant en garde contre l’accroissement possible des cancers générés par la hausse des particules fines inhalés par les habitants de Vilvorde et de Machelen.

D’accord, me direz-vous mais il y a un intérêt économique à ce projet. Même pas. Les grandes enseignes qui colonisent tous les centres commerciaux ne sont pas demandeuses. UPlace ne les intéresse pas. Les recours contre ce projet se multiplient et ne sont pas tous le fait d’écologistes ou de commerçants bruxellois frustrés. En fait, il y a tellement d’opposition que l’on se demande qui soutient encore ce projet à part Bart Verhaeghe et- en principe- le gouvernement flamand. Oui mais, même dans les partis qui composent la majorité actuelle, on entend des voix divergentes. Dans l’opposition, on explique l’acharnement de certains ministres par le fait qu’ils ne veulent pas « plier », qu’ils ont été trop loin dans leur engagement tant vis-à-vis de l’opinion publique que du promoteur.

La mise en œuvre d’un mauvais projet serait-elle vraiment une question d’ego ? Peut-on vraiment imaginer qu’on est dans l’ordre de la vanité blessée ? On aimerait le penser. Ce serait presque rassurant. Après tout, les ministres flamands sont des êtres humains comme vous et moi. On peut à la limite les orienter vers un bon psychologue comportemental. Mais malheureusement, on pressent que ce n’est pas là le problème. L’histoire politique est remplie de volte-face. L’important est, comme pour les chats, de bien retomber sur ses pattes.

On pressent que l’explication est plus triviale. Les centres commerciaux n’ont plus d’utilité commerciale. Tous les analystes sont d’accord à ce sujet. Ils sont devenus un produit financier. L’abondance des liquidités sur le marché financier pousse les fonds de pension, les compagnies d’assurance à placer de l’argent dans ce type de projet immobilier. C’est une valeur refuge rentable. Le gouvernement flamand aide Bart Verhaeghe fera une belle plus-value lors de la vente de ce bien à des fonds d’investissement. On aimerait penser donc qu’il ne faut pas y voir malice. Qu’ils sont vraiment convaincus d’agir dans l’intérêt de la Flandre autant que dans celui de cet homme d’affaires. On aimerait…

C’est parfois difficile de ne pas être contaminé par les complotistes et les anti-politiques. Dites, Geert Bourgeois et les autres, si vous nous aidiez un peu ?

Marronniers télévisés ou châtaigne sur Facebook?

Récapitulons : nous avons déjà eu droit à la revente des cadeaux sur internet, juste après le reportage sur Noël en famille, la vente des sapins. Nous aurons bientôt les images des feux d’artifice tirés dans le monde entier (surtout à Londres), les types qui plongent dans le Tibre, ceux qui mouillent leurs pieds dans la mer du Nord affublés d’un bonnet de Noël et qui diront : « c’est froid mais ça fait du bien ». Cela prendra au moins les dix premières minutes du journal télévisé si pas davantage car les marronniers, dans la presse surtout audio-visuelle, c’est le plus inévitable des sujets bien avant toute actualité nationale ou internationale.

Un marronnier, c’est un peu la punition des journalistes. C’est le sujet qui revient chaque année comme les marrons en automne et les fleurs au printemps. Les départs en vacances début juillet, les soldes, la rentrée des classes et maman plus agitée que le bambin. Son usage remonte à la nuit des temps du journalisme. Depuis, semble-t-il que la presse s’est fait l’écho régulier de la floraison chaque année d’un marronnier rose sur la tombe des gardes suisses tombés lors de la prise des Tuileries le 10 août 1792.

Le marronnier, c’est irritant pour le journaliste comme pour une partie du public mais c’est comme ça, c’est dans l’ordre des choses. On doit les supporter au même titre que les publicités atroces qu’on nous inflige en cette période de fêtes. Résignés. Il faut juste attendre que ça passe.

Parce qu’au bout du compte, il y a pire que la télé, la radio ou les journaux en période de fêtes. Facebook a aussi ses vidéos, ses aphorismes gnangnan, ses vieilles infos que l’on a déjà vus mille fois et que nos « amis » diffusent et rediffusent et dont on se demande quand tout cela retournera un jour au néant informatique. Sauf que parfois, certains commentaires nous font sursauter, nous tirant brutalement du léger ennui que suscite parfois le balayage de l’écran. On annonce – par exemple- la mort de Léo Tindemans. Tindemans, je ne l’ai jamais croisé, pas même professionnellement. Son décès n’évoque chez moi aucune émotion particulière, juste des images de la Belgique ancienne. Mais d’autres sont apparemment plus émotifs que moi. Les réactions de certains facebookiens ont en effet été immédiates : « Un de moins ». « Une bonne nouvelle après la mort de l’autre », « A quand le suivant ? ». Qu’a donc fait Tindemans pour que sa mort suscite ainsi une telle réjouissance ? Rien. On lirait la même chose si on annonçait la mort de Reynders, de Di Rupo ou de Melchior Wathelet. C’était un homme politique, c’est tout. Et cela suffit pour déclencher la hargne. L’homme ou la femme politique, c’est le marronnier de Facebook, on leur envoie direct des châtaignes virtuelles. On like l’annonce du décès de l’un d’entre eux comme on like ceux qui postent des gentilles vidéos dégoulinantes de bons sentiments, noël oblige.

Finalement, s’il fallait choisir entre deux zappings, je garde mes marronniers télévisés. Ils me consternent un peu moins.

Histoire de fous

Qui a dit qu’aucun dialogue n’existait entre le gouvernement fédéral et les entités fédérées ? Le ministre de l’Emploi bruxellois Didier Gosuin négocie avec son homologue au fédéral, Kris Peeters, pour lui demander un moratoire sur les exclusions des chômeurs à Bruxelles. Pour rappel, quelque 17.000 personnes Belgique, plus de 5000 à Bruxelles, perdront leur allocation d’insertion au premier janvier prochain. Le gouvernement Di Rupo avait en effet décidé de limiter ce droit à 36 mois et l’échéance approche. Juste avant les élections, Di Rupo avait « adouci » (il faudrait pouvoir mettre des quadruples guillemets) la mesure en préservant les allocations des personnes souffrant de handicap et de troubles psychologiques graves. Il s’agit donc maintenant pour les Régions chargées de procéder à ce grand nettoyage de vérifier l’ « état mental » de ceux qui tentent de préserver leurs allocations.

L’état mental ? On ne vise pas ici l’état de colère ou d’angoisse dans lequel ces milliers de personnes doivent sans doute se trouver. Non, il faut pouvoir prouver qu’on ne va pas bien dans sa tête si on veut la garder hors de l’eau. Didier Gosuin craint que les fonctionnaires bruxellois ne perdent la leur en contrôlant l’état psychologique de milliers d’allocataires dans les trois semaines à venir. Argument massue pour obtenir un moratoire : dans les communes les plus pauvres de Bruxelles, et donc les plus peuplées de personnes d’origine étrangères, ces exclusions massives pourraient créer des « débordements ». Oups ! Des émeutes ! En plus des grèves et des manifestations ! Il faut évidemment s’attendre à tout dans ces quartiers n’est-ce pas ? Kris Peeters dit qu’il va « réfléchir ». C’est déjà pas mal comme effort. On peut penser que sa réflexion sera davantage influencée par cette menace que par l’examen des conséquences sociales désastreuses de cette mesure prise par le gouvernement Di Rupo. Et que la coalition au pouvoir va encore durcir. Le ministre bruxellois a plongé le nez dans les chiffres de l’Onem pour constater que 70% des bénéficiaires des allocations d’insertion ne sont pas des jeunes qui glandent depuis la fin de leurs études, ils ont le plus souvent la trentaine, ils sont en charge de famille et il s’agit surtout de femmes, mères de familles nombreuses, sans diplôme. Pas vraiment le cliché du jeune qui se la coule douce chez papa et maman.

Vous me direz que tout ceci n’est pas un scoop et vous aurez raison. Tout comme le fait que les travaux d’intérêt public pour les chômeurs sont impraticables ou que la dégressivité des allocations de chômage n’a pas d’effets sur la remise à l’emploi. Tout récemment une étude d’un centre universitaire anversois avait conclu à l’inefficacité totale de cette politique de dégressivité « compte tenu de l’état actuel du marché de l’emploi ». Les résultats de cette enquête sont passés inaperçus, relayés sous la forme d’une brève dans la plupart des médias et c’est « normal ». On le savait, on le sait. Ces mesures politiques n’ont nullement l’intention d’avoir une quelconque efficacité. Elles sont même contre-productives, cela aussi on le sait et ce n’est pas un problème pour ceux qui les ont conçues. Elles sont juste idéologiques. Leur impact est communicationnel, sans plus. Il s’agit, dans une logique populiste, de montrer qu’il y a des coupables à la crise économique et de les désigner de préférence parmi les plus faibles, les chômeurs, les étrangers et surtout les étrangers chômeurs.

Et ça marche. Vous avez entendu les manifestants protester contre les mesures prises à l’encontre des chômeurs le six novembre ? Interrogez les grévistes sur les raisons de leur colère, ils parleront du saut d’index et du recul de l’âge de la pension comme objectifs du combat social. Ecoutez les partis de l’opposition (ceux au pouvoir sous l’ère Di Rupo), ils s’offusqueront des attaques du gouvernement Michel contre la classe moyenne (version CDH) ou contre les travailleurs (version PS).

C’est vrai finalement. La seule excuse au fait d’être chômeur ou allocataire, c’est d’être un peu malade, un peu fou. Ce sont eux bien sûr qui le sont. Surtout pas notre système social et politique.

Théo Francken, d’ultra-droite? Quelle surprise!

Theo Francken doit-il démissionner parce qu’il a participé au nonantième anniversaire d’un ancien collabo, facho assumé ? La question est-elle vraiment celle-là ? La question n’est-elle pas  plutôt : comment a-t-on pu nommer un excité comme Francken   secrétaire d’Etat à l’Asile et la Migration ?

Que Théo Francken- comme bien d’autres personnalités N-VA- aient des sympathies à l’égard de l’extrême-droite flamande, y compris de sa frange nostalgique du troisième Reich, peut difficilement apparaître comme une réelle surprise. Mais soit. Imaginons que le MR et ses partenaires CD&V et Open VLD, ne l’ont pas soupçonné. Imaginons donc que Charles Michel soit sincère quand il affirme à la presse que Théo Francken lui a assuré de son « soutien total aux valeurs fondamentales ». Encore faut-il savoir de quelles valeurs on parle.

Car le nouveau secrétaire d’Etat n’a pas été choisi par hasard. D’abord, c’est un N-VA, le parti qui est avec le Vlaams Belang, le plus hostile aux étrangers. Un parti qualifié, avec raison selon nous, de raciste par le sénateur CDH Francis Delpérée. Ensuite au sein même de ce parti, Théo Francken a, en tant que député, toujours fait de l’immigration son cheval de bataille. On relève aujourd’hui, pour s’en indigner, son « post » de 2011 sur Facebook où il dit douter de la valeur ajouter de la diaspora marocaine. On s’étonne que 24 heures après sa prestation de serment, il ait promis de construire de nouveaux centres fermés pour y enfermer les « illégaux criminels » qui seraient un millier selon lui. Mais en quoi tout ceci est-ce surprenant ? Cela fait des années que Théo Francken fustige les « illégaux criminels ». Illégaux, étrangers, régularisés toujours « criminels », il a seriné cet adjectif comme un mantra dans toutes ses questions et interpellations parlementaires. Avec Sarah Smeyers, autre croisée N-VA, il monopolisait les séances de la Commission de l’Intérieur de la Chambre avec son feu nourri de questions aux responsables politiques chargés de l’asile (Wathelet, Maggie De Block…) pour dénoncer le laxisme de l’ Etat belge.

Théo Francken est obsédé par l’enfermement des étrangers. C’est lui qui a suggéré de louer des places dans les centres fermés néerlandais pour expulser plus vite les « illégaux criminels » (on l’aura compris, c’est un tautologie pour lui). Dans son livre « Belgïe, land zonder grens », écrit avec Sarah Smeyers, il décrit l’immigration comme une invasion et l’asile comme une fraude en soi. Faut-il rappeler qu’il a été le fer de lance de la loi qui a restreint considérablement le regroupement familial ?

Théo Francken est un spécialiste des chiffres et de la manipulation des chiffres. Comme député, il tenait une véritable comptabilité du nombre de sans-papiers arrêtés, par jour, par endroit, du nombre de condamnés étrangers, d’expulsions. En les arrondissant par le haut ou le bas selon les circonstances. Dans son livre, il écrit que l’immigration en Belgique est quatre fois plus élevée que la moyenne européenne. Et il est vrai que le ratio est de huit contre deux de moyenne pour l’ensemble des pays européens. Au Luxembourg, ce ratio est de 15,9. L’explication ? Francken considère comme immigrés les citoyens européens. Et en Belgique, les Français et les Néerlandais sont, de loin, la catégorie d’étrangers la plus importante dans notre pays. Mais ce n’est sans doute pas cela qu’aura compris le lecteur de Théo Francken.

Cette invraisemblable énergie dépensée à combattre l’immigration comme un fléau, cette mauvaise foi, ces mensonges, tous les députés n’ont pu que les constater quand le secrétaire d’Etat était des leurs. Le MR aussi. Charles Michel a donc accepté le casting de la N-VA en pleine connaissance de cause. Et cela, c’est un choix politique. Autant que d’aller à l’anniversaire d’un collabo quand on vient d’être nommé par le Roi. Des choix assumés, autant savoir.

Attention, chute de droits. Mettez votre casque

On retient son souffle. Partout, cela discute budget, économies, austérité. Dans les jours qui viennent on sera fixé sur les mesures qui seront prises tant du côté wallon que fédéral. L’exercice est déjà terminé côté flamand et il est désastreux pour la population : culture, allocations familiales, mobilité, accueil des enfants, tout y passe. Les Flamands doivent sans doute se réjouir que la sécurité sociale n’a pas encore été régionalisée.

Notez, c’est dans l’air du temps. Un bon gouvernement, c’est celui qui « prend ses responsabilités », qui ne craint pas d’imposer des « sacrifices », un gouvernement dont la seule ligne politique consiste à présenter un budget en équilibre. Et chacun d’opiner de la tête d’un air grave. Les temps sont durs, madame, l’Etat providence, c’est du passé. Chacun doit faire des efforts, les chômeurs surtout.

Le bruit des droits qui craquent, c’est un vacarme que nous avons évoqué souvent dans ce blog. Ce vendredi et le week-end prochain, au centre culturel Jacques Franck, la Ligue des Droits de l’Homme se penche sur l’accès aux droits économiques, sociaux et culturels. Avec cette question pour fil rouge : ces droits ont-ils encore un avenir au moment où la légitimité de leur accès est de plus en plus remise en question ? La remise en cause est insidieuse car parfois, on hésite, on s’interroge. Quand des experts estiment qu’il faudrait un âge d’accès à la pension légale différencié pour le cadre ou l’ouvrier parce que la pénibilité de leur travail n’est pas la même, on ne pousse pas spontanément un cri d’horreur. Quand on évoque un montant d’allocations familiales lié aux revenus de la famille, on s’excite un peu mais pas trop. On peut passer alors à d’autres étapes : a-t-on droit au remboursement de tous les soins de santé si on a mené une vie contraire aux dogmes de la bonne santé, en fumant comme un sapeur, en s’assourdissant à Tomorrowland, en mangeant trop de frites sans aller au club de fitness ?

Le doute est installé ? C’est normal. Il est aussi dans l’air du temps. De plus en plus, l’accès aux droits sociaux est lié au respect de certaines conditions. Les allocations de chômage sont quasi perçues comme une faveur, voire un acte de charité, de l’Etat mais qui ne devrait plus rester sans contrepartie. L’idée d’une sécurité sociale accessible à tous de manière égale s’érode de plus en plus vite. Nous avons bien intégré qu’elle coûte cher, que son financement par les seuls contribuables n’est pas tenable à long terme. Bref qu’un « gouvernement responsable » doit « prendre les mesures qui s’imposent », comme on dit en bonne langue de bois.

Les mesures qui s’imposent ? Il y en a d’autres mais curieusement, elles n’arrivent pas ou si difficilement à faire l’objet d’un consensus gouvernemental. Prenez le cas de l’individualisation des droits sociaux, de la fin de ce statut de cohabitant qui pénalise surtout les femmes et met à mal toutes les expériences nouvelles en matière de colocation, d’habitat groupé susceptibles de favoriser la solidarité entre les gens et de lutter contre la pauvreté. J’entends parler de cette histoire depuis l’enfance (enfin presque). J’ai lu cette revendication dans des centaines de memorandums. Elle apparaît dans tous les débats sur la pauvreté depuis plus de trente ans et chaque fois, on voit des politiques de tous bords hocher la tête en disant que oui, cette individualisation serait une solution mais difficile à mette en œuvre.

Et pour rentrer des sous dans les caisses de l’Etat, on parle tout aussi régulièrement de revoir le taux d’imposition des plus fortunés, de mieux lutter contre la fraude fiscale mais là aussi, c’est toujours très compliqué. Alors cela reste un mantra qu’on serine dans les débats télévisés. Non, non, la fraude fiscale, ce n’est pas bien. Oui, oui, on va se donner les moyens de la combattre.

Une bonne nouvelle pour terminer et vous donner du punch pour aller aux journées de réflexion de la Ligue ? La levée du secret bancaire est presque réalisée. Les banques vont enfin alimenter le registre des comptes bancaires qui permettra à l’administration fiscale de lever le secret bancaire en cas de soupçon de fraude fiscale. Il aura fallu attendre sept ans pour mettre en place ce registre. La réforme des pensions, du chômage, vous verrez, ça ira plus vite.